La poursuite

La pluie qui tombait voilait les champs de gris. Aucun nuage ne se distinguait dans le ciel couvert. Plus près d’elle, l’eau dégouttait d’une branche de cèdre sur la terre moite et spongieuse d’où se dégageait une odeur acide et acre.

Elle grelottait sous sa chemise légère. Sa jupe en guenilles collait à ses cuisses. Ses bottes inprégnées de boue par sa course folle immobilisaient ses pieds. D’une main froide elle écartait ses cheveux noirs de ses tempes.

Au loin, l’angélus sonnait. Plus près, derrière elle, une brebis seule y faisait écho.

Son ventre creux lui faisait mal. Elle n’avait pas mangé depuis le début de la poursuite il y a maintenant un jour et demi. La fatigue l’étourdissait. Seule son angoisse la maintenait en alerte.

Tout à coup, sur le chemin en bas de la pente, un hénissement brisa le silence. Une voix rauque criait ce qui ressemblait à une série de commandes. D’autres voix, trois ou quatre, y répondaient.

Prise de peur, elle se plongea dans le foin humide pour mieux se cacher. Puis, rampant à ras du sol, elle cherchait à gagner le sommet de la colline. Les voix continuaient à la poursuivre.

Arrivée au sommet, elle n’osa pas regarder derrière elle mais se laissa tomber sur la pente raide et boueuse. Au bout d’une chute de quelques mètres elle arriva sur la bordure d’un étang entouré de roseaux.

L’eau glaciale lui redonna ses esprits et elle y plongea. Ses mains engourdies de froid lui faisaient mal et ses bottes la tiraient vers le fond gluant. L’odeur rance de la boue lui soulevait la gorge.

Finalement, arrivée à l’autre bord de l’étang, elle se tira hors de l’eau et s’évanouit.


Elle se réveilla, recroquevillée et transie de froid. Il faisait nuit. La pluie avait cessé. Dans le ciel clair les étoiles brillaient d’une lumière intense et inhumaine. Elle chercha en vain une constellation familière pour se situer. Où diable était-elle?

Depuis l’explosion de voix à l’extérieur de sa chambre et sa course folle à travers les champs, déchirée par les ronces, elle n’avait pas eu le temps de réfléchir. Maintenant que la poursuite semblait pour le moment plus loin, elle osa s’interroger. Mais aucune réponse ne vint. Son nom, son histoire, même son pays et son siècle étaient sans contours et comme une masse sombre et infecte qui puaient la peur.

Elle renonça aux recherches infructueuses et angoissantes pour se concentrer sur une matière plus urgente: la nourriture. Elle se mit debout et des yeux parcourut l’horizon. Rien. Plus près d’elle, elle reconnut un arbre tombé d’où poussaient des champignons gluants et verdâtres.

Faute de mieux, elle y plongea une main et retira une masse moins gélatineuse. Malgré l’odeur nauséabonde, elle s’obligea à l’avaler. Puis une autre bouchée, et une autre jusqu’au moment où elle se sentit moins faible.

Avec ce qui restait de ses forces elle se remit en marche. Vers l’aube elle crut reconnaître au loin un petite cabane délabrée avec sur le toit quelques pigeons et dans la cour un gros matou.

Elle s’y approcha. Le matou aboya deux fois puis se mit à gronder. Une jeune femme sortit de la maison et tourna la tête vers elle. Elle lui fit signe de s’approcher.

Timidement, elle s’approcha de la femme qui se mit à parler, mais dans un langage qui n’avait aucune signification. Mais son sourire lui donna confiance et elle entra dans la hutte. Derrière un rideau, deux petits enfants la regardaient avec de gros yeux. Une odeur de soupe lui faisait saliver et une fatigue soudaine l’atterra.

La femme mit un bol de soupe devant elle et avec des gestes l’incitait à manger. Sans hésitation elle plongea sa cuillère de bois dans la soupe et se mit à l’avaler en vitesse.

Une fois la soupe finie, elle remercia la femme d’un hochement de tête et d’un serrement de mains. Elle n’avait rien à donner qu’une médaille autour de son cou. Le femme la prit avec un sourire timide.

Elle sortit et prit un sentier que montait vers les hauteurs. À mi-pente, elle entendit encore les voix rauques. Elle se cacha derrière un arbre et regarda en bas de la pente. Trois hommes à cheval étaient arrivés devant la cabane. Ils se mirent à marteler sur la porte et quand la femme l’ouvrit ils entrèrent avec fureur. Au bout de quelques instants trois coups résonnèrent et les hommes sortirent de la cabane. De la main gauche du premier pendaient sa médaille. Prise de nausée et de rage elle vomit, mais la peur l’incitait à poursuivre sa fuite et elle se remit à remonter la pente.

Sur le sommet se trouvait une forêt de sapins. L’odeur des arbres lui redonnait du courage et elle se mit à creuser son chemin entre les branches entrecroisées.